A. LE REGARD DE MICHEL HOST
Je resitue dans ce chapitre en les situant les différentes critiques de Michel Host soit son regard sur mon travail :
Recours au Poème
Sommaire 43
Rubrique, Critiques
L'inexploré pays de Margo Ohayon
La Cause Littéraire
Scalp en feu VI
Scalp en feu IX
LE REGARD DE MICHEL HOST
L’inexploré pays de Margo Ohayon, par Michel Host
Pour accueillir cette recherche Michel Host, dans le cadre de notre échange qui se poursuit depuis 2013 grâce à la médiation de Matthieu Baumier, alors Membre du comité de direction de la Revue Recours au Poème, m'a fait l'honneur de rédiger des remarques concernant des éléments de ce périple, sur lequel il a pris la peine de se pencher.
Dans un article qu'il écrivit pour Recours au Poème, il dit à propos de plusieurs de mes chantiers d'écriture :
Parmi ceux qui frappent à l’esprit comme on frappe à la porte, un Cœur initial auquel il arrive de ressembler à un corps à corps amoureux de très haute intensité :
... « Pénétré chacun
de son fourreau
nos chairs s’inversent
à la brûlure biface
de notre corps en l’un. »
... Extrait
« Je te reçois
sur la mousse irisée
que tu expires
à la lumière
de nos bouches. »
Vagues successives, flux et reflux des stances à cadence de mitraille. Le vers est sec comme une détonation, bref et silencieux comme trait d’arbalète. C’est l’ouverture permanente, illimitée, à l’autre :
« En ton halo
ma pupille dilatée
s’éclipse,
je ruisselle aux joints
de ta verge introduite. »
̶ à l’autre qui est aussi soi-même, et au temps, aux temps mêlés : on navigue aussi bien dans les années 30 d’un siècle disparu ̶
« Assise au volant
en robe de lin,
mon sac sur le tableau de bord,
j’allume une cigarette,
à la radio un tango monte …»
...Extrait
̶ que dans les certitudes de l’indéfinissable présent :
… « Un nombre érotisé
à la grâce du laser
nous sélectionne,
en virtuel orgastique, pour amour à vie
nos sexes se connectent. »
...Extrait
La totalité du monde est prise dans l’étreinte, convoquée dans le chant des amants. Puis, dans la célébration des chairs unies, antique souffle des désirs qui chez nous s’ouvrit avec Ronsard contre tout mépris de la lumière des corps d’amour. Le vers s’enfle et grossit :
« Un jour suffit à l’âme émue
pour voler haut, haut dans la nue,
sur un nuage animalier
que ne poursuit nul cavalier...»
...Extrait
Chez Margo Ohayon, l’entreprise amoureuse va à l’extrême liberté, excluant l’angoisse des ombres où parfois se noient des amants plus faibles :
« Sur le cadran des interdits
de nos nuits d’orgasmes
la trotteuse phosphorescente
dès les premières secondes
court vers l’aurore. »
Cette aurore foisonne dans la plupart de ses poèmes. L’esprit veille, humain, le seul qui puisse nous conduire encore au-delà de nous-mêmes dans la fête orgiaque :
« Nous mêlerons nos sexes à nos langues,
et nos langues à notre esprit
car nous sommes deux et il est un...»
...Extrait
Une autre Trinité en somme, sacralisée dans l’union des êtres humains.
On retiendrait tout ce que nous propose la poétesse, tant elle[1] a d’emportement et de conviction. Mais qui est-elle ? « Infirmière de nuit » nous apprend-on. Où va-t-elle puiser cette entente profonde qui lui fait croiser le fer avec la plupart de nos expériences existentielles. Oui, sans doute dans cette proximité des corps souffrants et des détresses cachées le plus souvent (j’y viendrai), mais d’abord dans un regard qui tente de capter l’univers physique qui nous enveloppe, nous détermine jusqu’à un certain point : cela se perçoit dans Écorces, dans les Cerfs-volants qui, de la hauteur, veulent ordonner le regard sur les paysages divers, percer leur organisation macro et microscopique.
Ce regard s’aiguise encore avec Les Brisants où s’expérimentent les principaux états de l’humide, s’ouvrant dans la rivière polluée (nous !) et se fermant sur le grand large purifié :
« Un nuage avance,
le vent du large
écume la haute mer. »
̶ mais plus encore avec Vers la lumière qui, dans cette cohérence profonde des tropismes de Margo Ohayon, me paraît une leçon de philosophie de la contemplation. C’est ici, qu’avec le soutien d’un personnage quelque peu mystérieux, un nommé Jean (celui qui porte l’enfant sur ses épaules), sont regardés arbres et arbustes
« … points de repère au milieu d’un inexploré pays... » ̶ , le paradis…
On ne voit bien que lorsqu’est établie la bonne distance, la juste accommodation, ce à quoi s’ingénie sans cesse Margo Ohayon. C’est ici que la lumière même est scrutée, analysée, qui brille dans sa propre dispersion :
« Par sa transparence comprimée en l’intérieur le corps du pichet explose en morceaux qui libèrent un œuf de glace. Il brille tandis que subsistent au sol les éclats de son révolu contenant. »
Il existe bien une autre physique, une physique poétique, qui inclut la lumière, la terre et l’eau, et nous est la plus sûre explication du monde.
À retracer ainsi, à grands traits, à longues étapes, toute une aventure du verbe, j’espère toucher à quelques vérités intuitives : la lumière donc, est alternative de l’ombre, voire de l’ombre des médiocrités,
« comme elle vient la lumière disparaît. Les ivrognes reprennent leur place derrière le comptoir. Ils l’entrevoient tel un rêve impossible qu’ils connaissent sans le vivre...»
Mais nous ne glisserons pas vers cet amoindrissement, nous irons ailleurs encore et plus haut. Le médiocre ne l’est pas irrémédiablement :
« Bienvenus ivrognes de la terrasse
quand vous cassez la bouteille
de kirsch fantaisie,
des éclats transparents
constellent le sol,
débris du ciel
grâce à vous. »
L’homme, qui m’avait paru être l’unique, le corps et le cœur amoureux dès les premiers moments du livre, l’amant merveilleux, peu à peu se change en un humain, dans d’autres virtualités (que souvent finit par joindre la nécessité) de son être, notamment vers les pages de Sonar et celles de Vie étrange. « L’infirmière de nuit » va percer sous la conteuse des jours du monde. C’est d’abord un visage, et ces vers aussi légers que superbes,
« Lumineux visage,
les maisons s’ouvrent,
vertige est la foule.
Timide sourire, bribes sur ses lèvres :
échange de mots.
Les doigts nus s’empressent,
quel léger corsage… »
...Extrait
« L’homme debout
un court instant
sur le muret
a disparu.
File le temps,
le site change,
en un éclair
se joue l’absence. »
C’est une jeune fille qui court,
« son regard enlace le vent,
le parfum cherche sa peau,
ses cheveux attisent ses pieds,... »
C’est un bébé dans son landau, sous les glycines… jusqu’à ce que
« Son impatience le dépasse
à force de piétiner
dans la longue rue de l'attente
où il fait ses premiers pas. »
Toutes les magies, voire les insignifiances (elles ne le sont jamais pour ceux qui les pratiquent et en ont l’usage) de l’existence, se développent dans les vers de Sonar, lequel après tout est une machine à détecter le difficilement visible, ou l’invisible. On passera encore, et avec quel bonheur, par les inattendus sonnets de « Éveil face au miroir » où étincellent et flamboient les toujours vivaces désirs de vivre, par la chair :
« Écarlate ta chair qui a le privilège
D’un seul rouge baiser… »
...Extrait
… par les mots, tout naturellement, qui sont la pensée et ses images, qui sont les choses elles-mêmes surmultipliées dans l’esprit chauffé à blanc :
« Les mots, source de joie, alphabet du désir,
Le parchemin vision,
l’image aime chérir
Le sang bu sur sa robe… »
Les mots, qui annoncent aussi l’inéluctable et, un instant, rejoignent Dante :
« Un livre ouvert annonce :
… « Ils vont mourir »,
par le témoin, coups dans le dos,
Crime du jaloux noir où le récit se clôt,
Francesca mortifiée à Paolo renonce. »
... Extrait
C’est ainsi que nous découvrons d’autres sonnets tout aussi inattendus, ceux de Vie étrange où va s’ouvrir et se fermer le dernier cercle, non celui de l’enfer, mais celui du même inéluctable mis à la portée de tous, sur lequel Margo Ohayon jette son regard scrutateur, non pas sans compassion, mais d’abord compréhensif et clair.
Le premier sonnet nous dit tout de la toilette quotidienne d’une qui
« Sur son lit, dedans une plaie insupportable,
sous la fenêtre (…) attend qu’on la réconforte... »
...Extrait
Les sonnets suivants vont au plus difficile de l’expérience humaine, à sa fin – quoique tout le monde ne soit pas prêt à accepter une telle affirmation, épicuriens et stoïciens notamment qui, nous le savons, ne sont pas exactement ce que l’on croit – fin qui d’ordinaire reste une incommensurable surprise qui dépasse celui ou celle qu’elle atteint :
… « Je l’ai vue hier en réanimation
Presque mourir, une force de vie étrange… »
… « Une épave, immobile, habillée, elle change
D’une minute à l’autre, une indifférence au monde apparent :
Elle est paisible maintenant, je la recouvre. »
...Extrait
Le soignant est là, bien présent, mais discret car il lui faut protéger son courage. Il est l’autre attentif, désolé parfois, mais lui-même en danger d’être enlevé dans cette folie de la fin, qui dénoue la syntaxe même :
« Grabat en péril, médicaments donnés pour
La nuit, je l’occupe, à bout de force, il m’emporte...
...Extrait
Soignant / enseignant : j’ai été celui-ci, Margo Ohayon me fait toucher à celui-là. Voies bien différentes que celles où il faut tirer l’élève et le patient. C’est une chose d’éduquer à des savoirs qui mènent à la vie et d’éduquer à la sortie de la vie, à l’inconnu en somme. Ici, des corps s’oublient, des esprits lucides ou à demi lucides éprouvent de la honte, ou le désespoir, ou encore rêvent de retour à la vie, à la vie belle d’antan :
… « À l’heure de la morphine avec une aiguille
Elle viendra, mais loin de la désolation
De ce matelas, hors des barreaux, j’aurai fui. »
… « L’aide-soignante, seule, en position extrême,
Le dos courbé, les reins tendus par un effort
Brusque, le soulève, lui demandant pardon. »
... Extrait
FIN DE L’EXTRAIT
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